La Grand-Combe/Alès 1952-1964

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LA GRAND-COMBE / ALES
SOUVENIRS des années 1952 à 1964

À Marie-Louise …

§

I – LORSQUE L’ENFANT PARAÎT

(titre emprunté à André Roussin, 1911-1987)

À cette heure, sortirais-je,
De l’infini sortilège,
Pour qu’enfin, je devienne moi ?
Non de suite, il fait trop froid !

Pourtant faut-il se décider
À paraître sur l’échiquier
De ce monde très incertain
Et accomplir mon bref destin !

C’est dans cette atmosphère
De doute que je vins faire
Mon devoir sur cette terre,
En un siècle délétère.

Yeux bleus et cheveux blonds bouclés,
Comme une fille, j’étais parée.
Mais, si rose et frais je sortis,
Maman, elle, avait une maladie,

Qui fit qu’en lieu de caresse,
Je dû quérir autre adresse :
Ce fût l’orphelinat d’Uzès
Qui abritait ces déesses.

Mon père aussi, victime
D’un labeur où l’on s’escrime,
Me mit chez des étrangères,
Vraies nourrices mercenaires

C’est ainsi que j’arrivais en
Mille neuf cent cinquante deux,
Après que vint le Fils de Dieu
Qui m’a accordé mes vieux ans.

§

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II – SOUVENIRS RIBOIS 

(du nom de la Citée de Ribes,
construite sur la colline éponyme dès 1914)

J’ai vécu à Ribes, quartier
Où d’anciens lignages entiers, 
De mineurs & ingénieurs vivaient,
Essaims d’enfants qui babillaient.

Rapidement, je cheminais
Vers les bancs cirés de l’école.
Laborieusement j’apprenais
À décrypter lettres et symboles.

Les prescriptions maternelles
Étaient de saluer celles
Des personnes rencontrées
Qui toutes, connaissant mes traits,

Me dévisageaient, rigolant,
Gueules noires et crocs blancs,
Comme si j’avais bien émis
Quelque bonne plaisanterie.

« Mon … héros au regard si doux
Questionné sur une raison
Possible, à ces rires fous,
frisant même la déraison,

Me dit : « cela tient au fait
Que le jour de ta naissance,
Les mineurs firent la fête
Et burent d’abondance ;

Car ce jour là, se termine
Au Puits Ricard, l’inondation
Qui a envahi la mine,
Justifiant une collation.

Ainsi, ma simple apparition,
Produisait chez ces vieux porions,
Des souvenirs d’allégresse,
De fraternelles ivresses.

G.D.©

§

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III – LES DIVINS IRIS

À Margueritte Larguier, institutrice
à la Villa Béchard (19.07.1929 – 07.11.2019)

Les matins, je descendais à pied au Riste (1)
Avec un grand et odorant bouquet d’iris
Cueillis dans mon jardin, ainsi que quelques lys
Qui me transformait en un petit fleuriste.

Tout au long du chemin menant à l’école,
J’allais, fier tel un pur sang qui caracole
Portant ostensiblement ma brassée de fleurs
Comme le curé expose le Sacré Choeur.

J’en profitais pour musarder sur la route,
Comptant que ma gerbe mettrait en déroute
La redoutable humeur de ma maîtresse
Qui succomberait à la puissante ivresse

D’Iris, fille de l’Océanide Électre (2)
Et messagère de tous les dieux éternels
Dont Héra, qui lui marquait un fort affect,
Car elle ne portait que bonnes nouvelles.

Vous l’avez compris, ces fleurs quotidiennes
Fredonnaient chaque jour comme une antienne
À ma préceptrice, non le parfait amour,
Mais l’espoir d’un pardon des bêtises du jour.

G.D.©

Notes § III :
(1) Le Riste : nom d’un quartier situé près des rives du Gardon de La Grand Combe.
La riste : préparation culinaire du Sud-Est de la France à base d’aubergines, d’oignons et de tomates, servant d’accompagnement. Ex. Une riste d’aubergine.
Le riste : Ancien nom d’une espèce de fil de chanvre et d’une espèce de toile, dans le midi de la France. Ex. riste ou chanvre long
(2) Océanide Électre

§

IV – ÉCOLIER et LYCÉEN – ANNÉES 52/64

La Grand-Combe ne manquait pas
De collèges et d’écoles
Où épaule contre épaule
On dirigeait nos jeunes pas.

Béchard, Pasteur, catholiques, (1)
Les Frères et Soeurs y dansent (2).
Zola, Anatole France, (3)
Eux, chantent la République.

Maitresses en robes à fleurs,
Ou maîtres en tabliers noirs,
Nous faisaient ânonner en choeur,
Lettres de craie sur tableau noir.

Dans de fuyantes baignoires,
Plein de litres d’eau s’écoulaient ;
Tandis que dans les gares,
En retard les trains arrivaient.

Heureusement que les Jeudis,
Journées pleines de délices,
Ballons de foot en cages entraient,
Comme en bouches, pains d’épices.

§

Le Dimanche, jour de Messe
Craintif, j’allais à confesse
Et ouïr le prêche du Père,
Du haut l’ancienne chaire. (4)

Puis chez Boutin, on retenait (5)
Un généreux Saint Honoré,
Pâte à choux et blanche crème.
Voulant prouver un théorème

Mon père, polytechnicien,
Ravageait en cinq parts égale
Le gâteau de notre fringale
Qui ne ressemblait plus à rien,

Comme le neuf J.B. Dumas, (6)
Nouvelle caserne d’Alès
Où lycéen je paresse
Deux printemps et deux frimas.

C’est ainsi qu’après Communion,
Privée ou bien Solennelle,
Au lycée, je flanquais des gnons,
Ou y tirais des bretelles.

§

Lors d’une étude surveillée,
La lectrice allemande (7)
Tourne les pages du Cahier
De Devoirs qu’on nous demande.

Sur nos bancs, le dos bien tassé,
On se prépare à se gausser
De la bécasse d’Outre Rhin,
De Cologne ou de Berlin

Qui ne sait ce qui doit arriver,
Lorsque cette page va tourner ?
Un scorpion provençal y dort,
Pas gros venimeux d’Afrique,

Mais tout petit, cadeau sadique
Pour cette jeune germanique.
La page s’ouvre. La bête sort.
La Grätchen crie. Elle voit sa mort …

Mort de rire, nous étions tous,
De voir la fille s’étouffer,
Comme si elle avait la toux.
Mes amis n’étaient pas parfaits.

G.D.©

Notes § IV :
(1) La « Villa Béchard » (rue éponyme) construite dès 1949 entre la voie de chemin de fer et la nouvelle gendarmerie fut la réponse des catholiques à la confiscation des établissements religieux par l’État républicain. Construite très près du Gardon, une inondation survint en 1958, ce qui retarda d’un mois mon entrée dans cet établissement.
(2) Évocation des Frères des Écoles Chrétiennes (Photo Villa Béchard) et les Soeurs « à cornettes » de Saint Vincent de Paul, au n°1 de la rue Pasteur.
(3) Écoles Publiques de la rue Émile Zola (actuel centre des contributions directes) et Anatole France qui relie le Nord de l’Église à la rue des Poilus.
(4) Chaire : tribune de bois ouvragé où montait le curé pour délivrer son prêche. Elle n’est plus utilisé aujourd’hui, mais est toujours présente dans l’église de La Grand-Combe.
(5) Boutin, célèbre pâtissier de la rue de l’Abbé Méjean. La boutique est toujours là, mais entre les mains d’une nouvelle boulangère-pâtissière.
(6) Le lycée Jean Baptiste Dumas (né à Alès le  et mort à Cannes le 1884, est désormais situé au 1, place de Belgique. Il se trouvait autrefois en centre ville d’Alès avant d’être transféré en 1961 sur un très grand terrain le long du Gardon, soit 4 longues « casernes » en « préfabriqués », sur le tristement célèbre modèle des « Établissements scolaire de type Pailleron » dont nombres prirent feu comme fétu de paille. L’un des bâtiments d’Alès n’échappa pas à la « règle » en brûlant la veille de son inauguration, l’année de mon entrée dans cet établissement.
(7) Lectrice : jeune professeure stagière venant enseigner dans sa langue maternelle. Ici, l’allemand.

§

V – Trésors de La Grand-Combe

La Grand-Combe offre
Bien plus de richesses
Que d’antiques coffres
De nobles princesses
D’Anduze ou d’Uzès :

Veines de ses terres
Noires d’anthracite,
Oignons de ses serres
Qui, le goût excite ;
Tranchant comme verre.

Châtaignes aux bogues
Piquantes, fruits rogues ;
Aigreur des arbouses
Comme à Lamelouze
Persil aux Pelouses

Mercredis, Samedis,
Sur son ancien marché
Toute la région dit
Qu’on peut y dénicher
Sans que ce soit caché :

Onctueux pélardons
Des chèvres du Gardon
Broutant, vers la rivière
Froide, longeant les pierres

Frôlées par des truites
Qui au bleu seront cuites
En un vif court-bouillon
Digne d’un réveillon.

Dans son berceau dressé,
C’est vrai, c’est notoire,
Que des fées ont versé
Nectars en ciboire :

Don de l’ingénierie
Qui de l’ardu se rie ;
De la gastronomie,
Du palais, bonne amie.

À toutes époques,
Échevins et maires
Chantaient le savoir faire
Des pairs du Languedoc.

Copyright : Poésies Grand-Combiennes© / G.L. Delannoy
Poésies composées et publiées depuis le 01.01.2019
Pour : Mas de la Regordane et ses Lecteurs.
Dernière révision, le : 13.01.2020